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après l’entrée, dans les trois salons, devant les comptoirs de vente, les conversations ne tarissaient pas. « Ah ! ma chère, avez-vous vu, c’est effrayant, effrayant, toutes ces balafres, la maison entière a failli sauter ; et dire que ça peut recommencer, pendant que nous sommes là. Vraiment, il faut du courage pour venir ; mais cette Œuvre est si méritoire, il s’agit d’un nouveau pavillon à construire. Et puis, les monstres verront que, tout de même, nous n’avons pas peur. »

Lorsque la baronne Ève descendit enfin occuper son comptoir avec sa fille Camille, elle y trouva les vendeuses en pleine fièvre déjà, sous la direction de la princesse Rosemonde, qui, en ces sortes d’occasions, était extraordinaire de ruse et de rapacité. Elle volait les clients avec impudence.

— Ah ! vous voilà ! cria-t-elle. Défiez-vous d’un tas de marchandeuses qui sont ici pour faire de bons coups. Je les connais, elles guettent les occasions, bousculent les étalages, attendent qu’on perde la tête et qu’on ne s’y reconnaisse plus, pour payer moins cher que dans les vrais magasins… Je vais les saler, moi, vous allez voir.

Ève, qui était une vendeuse exécrable, et qui se contentait de trôner dans son comptoir, dut s’égayer avec les autres. Elle affecta de faire, doucement, quelques recommandations à Camille, que celle-ci écouta en souriant, d’un air d’obéissance. Mais la triste et misérable femme succombait sous l’émotion, dans la pensée d’angoisse de rester là jusqu’à sept heures, à souffrir devant tout ce monde, sans soulagement possible. Et ce fut pour elle un répit que d’apercevoir l’abbé Pierre Froment, qui l’attendait, assis sur une banquette de velours rouge, près du comptoir. Les jambes rompues, elle s’assit à côté de lui.

— Ah ! monsieur l’abbé, vous avez reçu ma lettre, vous êtes venu… J’ai une bonne nouvelle à vous annoncer, et cette nouvelle, j’ai voulu vous laisser le plaisir de