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donner tout de suite, dans son intérêt. Rends-lui sa liberté, tu verras bien que c’est moi qu’il aime.

— Tu mens, tu mens !… Ah ! misérable enfant, qui ne veux que me torturer et me tuer !

Et, dans sa furieuse détresse, Ève se rappela qu’elle était la mère, qu’elle devait corriger cette fille indigne. Elle ne trouva pas de bâton, elle arracha de la corbeille des roses jaunes, qui les grisaient toutes deux de leur puissante odeur, une poignée de ces fleurs à hautes tiges épineuses, et elle en souffleta Camille. Une goutte de sang parut à la tempe gauche, près de la paupière.

Sous la correction, la jeune fille, pourpre, affolée, s’était jetée en avant, la main haute, prête à frapper, elle aussi.

— Ma mère, prenez garde ! Je vous jure que je vous battrais comme une simple gueuse… Et, dites-vous bien ceci maintenant, je veux Gérard, j’épouserai Gérard, je vous le prendrai par le scandale, si vous ne me le donnez pas de bonne grâce.

Après son acte de colère, Ève était tombée sur un fauteuil, brisée, éperdue. Et toute son horreur des querelles revenait, dans son besoin de vie heureuse, d’égoïste jouissance à être caressée, flattée, adorée. Tandis que Camille, menaçante, dévorante, se montrait enfin à nu, l’âme dure et noire, sans pardon, ivre de sa cruauté. Il y eut un silence suprême, pendant lequel on entendit de nouveau la voix gaie de Duvillard, venant du cabinet voisin.

Doucement, la mère s’était mise à pleurer, lorsque Hyacinthe, le fils, remonté en courant, tomba dans le petit salon. Il regarda les deux femmes, il eut un geste d’indulgent mépris.

— Hein ? vous êtes contentes, qu’est-ce que je vous disais ? Comme si vous n’auriez pas mieux fait de descendre tout de suite !… Vous savez que tout le monde