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— Je t’ordonne de te taire, Camille ! Je ne puis supporter un tel langage.

— Je n’ai pas à me taire, lorsque tu cherches à me blesser. Si j’ai le tort de m’habiller en vieille femme, c’est que peut-être une autre a le ridicule de s’habiller en jeune fille, en mariée.

— En mariée, je ne comprends pas.

— Oh ! tu comprends parfaitement… Je veux pourtant que tu le saches, tout le monde ne me trouve pas aussi laide que tu sembles t’efforcer de le faire croire.

— Si tu es laide, c’est que tu t’arranges mal, je n’ai pas dit autre chose.

— Je m’arrange comme il me plaît, et très bien sans doute, puisqu’on m’aime telle que je suis.

— Vraiment, quelqu’un t’aime ? Qu’il nous le fasse donc savoir, et qu’il t’épouse !

— Mais certainement, mais certainement ! Ce sera un bon débarras, n’est-ce pas ? et tu me verras en mariée !

Leurs voix montaient, malgré leur effort. Camille s’arrêta, reprit haleine, ajouta d’une voix basse et sifflante :

— Gérard doit venir, ces jours-ci, vous demander ma main.

Blême, Ève parut ne pas avoir compris.

— Gérard… Pourquoi me dis-tu cela ?

— Mais parce que c’est Gérard qui m’aime et qui va m’épouser… Tu me pousses à bout, tu me répètes toujours que je suis laide, tu me traites en monstre dont personne ne voudra. Et il faut bien que je me défende, que je t’apprenne ce qui est, pour te prouver que tout le monde n’a pas ton goût.

Il se fit un silence, la querelle parut finie, devant l’affreuse chose, tout d’un coup évoquée, dressée entre elles. Mais il n’y avait plus là une mère et une fille, c’étaient deux rivales qui souffraient et combattaient.

Ève respira longuement, regarda, dans l’angoisse, si