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qu’elle n’osait plus l’inviter à déjeuner, tant elle le savait pris au Palais ; mais elle espérait bien qu’il allait venir lui faire son offrande. Fonsègue s’amusait à taquiner la princesse Rosemonde sur sa robe de satin feu, où il prétendait qu’elle cuisait déjà de toutes les flammes de l’enfer, ce qui la ravissait au fond, dans son satanisme, sa passion du moment. Duvillard se montrait correctement galant à l’égard de la silencieuse madame Fonsègue, tandis qu’Hyacinthe, pour étonner la princesse elle-même, expliquait en mots rares l’opération de magie, par laquelle on faisait un ange d’un homme vierge, après l’avoir dépouillé de toute virilité. Et Camille, très heureuse, très excitée, jetait de temps à autre un regard brûlant sur sa mère, qui s’inquiétait et s’attristait davantage, à mesure qu’elle la sentait plus vibrante, plus agressive, résolue à la guerre ouverte et sans merci.

Comme le dessert s’achevait, la mère entendit sa fille dire très haut, d’une voix perçante de défi :

— Ah ! ne me parlez pas de ces vieilles dames qui semblent jouer encore à la poupée, fardées, habillées en communiantes. Au fond, toutes des ogresses ! Je les ai en horreur.

Nerveusement, Ève se leva, s’excusa.

— Je vous demande pardon de vous presser ainsi. Vraiment, on ne sait si l’on déjeune. Mais j’ai peur qu’on ne nous laisse pas prendre le café… Et, tout de même, nous allons respirer un peu.

Le café était servi dans le petit salon bleu et argent, où fleurissait une admirable corbeille de roses jaunes, cette passion que la baronne avait pour les fleurs, et qui changeait l’hôtel en un continuel printemps. Tout de suite, leurs tasses fumantes à la main, Duvillard emmena Fonsègue dans son cabinet, pour fumer un cigare, en causant librement ; et, d’ailleurs, la porte resta grande ouverte, on entendait leurs grosses voix confuses. Le général de