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— Que dis-tu, frère ? Toi que je croyais si ferme, si calme en ta croyance ! Toi le prêtre admirable, le saint que toute cette paroisse adore ! Je ne voulais pas même discuter ta foi, et c’est toi qui nies tout, qui ne crois à rien !

Pierre, lentement, élargit de nouveau les bras dans le vide.

— Il n’y a rien, j’ai tâché de tout savoir, et je n’ai trouvé que l’abominable douleur de ce rien qui m’écrase.

— Ah ! mon Pierre, mon petit frère, que tu dois souffrir ! La religion est-elle donc plus desséchante que la science, puisqu’elle t’a dévasté à ce point, lorsque je suis resté, moi, un vieux fou encore plein de chimères !

Il lui saisit les deux mains, il les serra, pris d’une pitié terrifiée, en face de cette figure de grandeur et d’épouvante, celle du prêtre incroyant veillant sur la croyance des autres, faisant chastement, honnêtement son métier, dans la tristesse hautaine de son mensonge. Et que ce mensonge devait peser à sa conscience, pour qu’il se confessât de la sorte, en une telle débâcle de tout son être ! Jamais il ne l’aurait fait un mois plus tôt, dans la sécheresse de son orgueilleuse solitude. Pour parler, il fallait déjà que bien des choses l’eussent remué, sa réconciliation avec son frère, les conversations qu’il entendait chaque soir, ce drame terrible auquel il était mêlé, et ses réflexions sur le travail en lutte contre la misère, et l’espoir sourd que lui remettait au cœur la jeunesse intellectuelle de demain. Est-ce que, dans l’excès même de sa négation, ne s’indiquait pas le frisson d’une foi nouvelle ?

Guillaume dut le comprendre, en le sentant frémir d’une telle tendresse inassouvie, au sortir de son farouche silence, gardé si longtemps. Et il le fit asseoir près de la fenêtre, il s’assit à son côté, sans lui lâcher les mains.

— Mais je ne veux pas que tu souffres, mon petit frère !