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Révolution, il l’entendait à sa manière, en illettré qui s’était instruit dans les journaux et dans les réunions publiques. Et il parlait de son honnêteté en se tapant du poing sur la poitrine, il n’admettait pas surtout qu’on doutât de son courage, parce qu’il avait fui.

— Je n’ai jamais volé personne, moi, et si je ne vais pas me livrer aux argousins, c’est qu’ils peuvent bien prendre la peine de me trouver et de m’arrêter. Mon affaire est claire, je le sais, depuis qu’ils ont ce poinçon et qu’ils me connaissent. Ça n’empêche qu’il serait bête de leur mâcher la besogne. Mais, si ce n’est pas demain, que ce soit donc après-demain, car je commence à en avoir assez, d’être traqué comme une bête et de ne plus savoir comment je vis.

Curieusement, Janzen avait cessé de feuilleter le livre d’images, pour le regarder. Un dédain souriait au fond de ses yeux froids. Il dit, dans son français hésitant :

— On se bat, on se défend, on tue les autres et on tâche de ne pas être tué. C’est la guerre.

Cela tomba dans le profond silence. Salvat ne parut pas avoir entendu, et il bégaya sa foi, en une phrase embarrassée de grands mots : le sacrifice de son existence, pour que la misère enfin cessât ; l’exemple d’un grand acte donné, avec la certitude que d’autres héros naîtraient de lui, pour continuer la lutte. Et, dans cette foi très sincère, dans son illuminisme de rédempteur, entrait aussi l’orgueil du martyre, la joie d’être un des saints rayonnants et adorés de la naissante Église révolutionnaire.

Comme il était venu, il s’en alla. Quand Janzen l’eut repris, il sembla que la nuit qui l’avait amené, le remportait dans son inconnu. Et Pierre, alors seulement, se leva, ouvrit toute grande la baie large du cabinet, étouffant, en un brusque besoin d’air. La nuit de mars était très douce, une nuit sans lune, dans laquelle ne montait