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Pierre allait se passionner, ouvrir son être, en montrer les affreux combats. Mais une pudeur encore le retint, son frère ne connaissait de lui que le mensonge du prêtre croyant, fidèle à sa foi. Et, sans répondre, il gagna sa chambre.

Le lendemain soir, vers dix heures, Guillaume et Pierre lisaient dans le grand cabinet de travail, lorsque Janzen se fit annoncer, avec un ami, par la vieille servante. C’était Salvat. Et cela fut très simple.

— Il a voulu vous voir, expliqua Janzen à Guillaume. Je l’ai rencontré, il m’a supplié de l’amener ici, quand il a su votre blessure et votre inquiétude… Ce n’est guère prudent.

Guillaume, surpris, s’était levé, dans l’émotion que lui causait une pareille démarche ; tandis que Pierre, bouleversé par l’entrée de cet homme, le regardait, sans bouger de sa chaise.

— Monsieur Froment, finit par dire Salvat, debout, timide et gêné, cela m’a fait bien de la peine, quand on m’a dit l’embêtement où je vous ai mis, car je n’oublierai jamais que vous avez été bon pour moi, un jour que tout le monde me jetait à la porte…

Il se dandinait sur une jambe, il faisait passer son vieux chapeau rond d’une main dans l’autre.

— Alors, j’ai tenu à venir vous dire moi-même que, si je vous ai pris une cartouche de votre poudre, un soir où vous tourniez le dos, c’est là, dans toute l’histoire, la seule chose dont j’ai un vrai remords, puisque ça peut vous compromettre… Et je veux aussi vous jurer que vous n’avez rien à craindre de moi, que je me laisserai vingt fois couper le cou, plutôt que de prononcer votre nom… Voilà tout ce que j’avais sur le cœur.

Il retomba dans son silence embarrassé, tandis que ses bons yeux de chien fidèle, ses yeux de rêverie et de tendresse, restaient fixés sur Guillaume, d’un air d’adoration