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pareille contagion, si sotte et si basse, n’avait soufflé la démence au travers d’une ville.

Dès son réveil, Guillaume attendait donc avec fièvre les journaux, frémissant chaque fois à l’idée qu’il allait apprendre l’arrestation de Salvat. La violente campagne qui s’y faisait, les inepties et les férocités qu’il y trouvait, le jetaient hors de lui, dans son attente énervée. On avait arrêté des suspects, au hasard du coup de filet, toute la tourbe soupçonnée d’anarchie, d’honnêtes ouvriers et des bandits, des illuminés et des fainéants, le plus extraordinaire pêle-mêle que le juge d’instruction Amadieu s’efforçait de transformer en une vaste association de malfaiteurs. Et Guillaume, un matin, avait même lu son nom, cité à propos d’une perquisition chez un journaliste révolutionnaire de grand talent, dont il était l’ami. Son cœur bondissait de révolte, mais n’était-il pas prudent de patienter encore, au fond de cette calme retraite de Neuilly, puisque, d’une heure à l’autre, la police pouvait envahir la petite maison de Montmartre, et l’y arrêter, si elle l’y trouvait ?

Dans cette sourde angoisse continue, les deux frères, étroitement enfermés, menaient l’existence la plus solitaire et la plus douce. Pierre lui-même évitait maintenant de sortir, passait là ses journées. On était aux premiers jours de mars, un printemps hâtif donnait au petit jardin un charme jeune, d’une tiédeur délicieuse. Mais Guillaume, depuis qu’il avait quitté le lit, s’était installé surtout dans l’ancien laboratoire de leur père, transformé en vaste cabinet de travail. Tous les papiers, tous les livres de l’illustre chimiste s’y trouvaient encore, et le fils venait d’y découvrir des études commencées, toute une lecture passionnante, qui le retenait du matin au soir. À son insu, c’était grâce à ce travail qu’il supportait patiemment sa réclusion volontaire. Assis de l’autre côté de la grande table, Pierre lisait aussi le plus souvent ; mais