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religieux, et alors j’ai fait cette saleté-là. Il faut bien vivre.

De la main, il avait désigné l’autre maquette, celle dont les praticiens commençaient l’exécution, un ange correct aux ailes d’oie symétriques, avec le corps ni fille ni garçon, la tête poncive, exprimant l’extase niaise que la tradition impose.

— Que voulez-vous ? reprit-il, tout cet art religieux est tombé à la banalité la plus écœurante. On ne croit plus, on bâtit des églises comme des casernes, on les décore de bons Dieux et de bonnes Vierges à faire pleurer. C’est que le génie n’est que la floraison du sol social, le grand artiste ne peut flamber que de la foi de son époque… Ainsi moi, je suis petit-fils d’un paysan beauceron, j’ai grandi chez mon père, venu à Paris pour s’établir marbrier, en haut de la rue de la Roquette. J’ai commencé par être ouvrier, toute mon enfance s’est passée parmi le peuple, sur le pavé des rues, sans que jamais l’idée me vienne de mettre les pieds dans une église… Alors, quoi ? que va devenir l’art dans un temps qui ne croit plus à Dieu ni même à la beauté ? Il faut bien aller à la foi nouvelle, et c’est la foi à la vie, au travail, à la fécondité, à tout ce qui besogne et enfante…

Il s’interrompit brusquement, pour s’écrier :

— Dites donc, ma figure de la Fécondité, j’y ai travaillé de nouveau, j’en suis assez content… Venez donc voir ça.

Et il voulut absolument les mener à son atelier personnel, qu’il avait près de là, en dessous de la petite maison de Guillaume. On y entrait par la rue du Calvaire, cette rue qui n’est qu’un escalier interminable, d’une raideur d’échelle. La porte s’ouvrait sur un des petits paliers, et en haut de quelques marches, on se trouvait dans une vaste pièce, largement éclairée par un vitrage, encombrée de maquettes, de plâtres, d’ébauches, de figures, tout un débordement solide et puissant. Debout sur une selle, la