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jours qui font poindre les petites pousses vertes des lilas. La conversation était restée sur l’École.

— Je vous avoue, disait Pierre, que je n’en aime guère l’esprit. Certes, il s’y fait d’excellente besogne, et pour former des professeurs, le seul moyen est évidemment de leur apprendre le métier, en les bourrant des connaissances requises. Le pis est que tous, instruits et élevés pour le professorat, ne restent pas dans le professorat. Beaucoup se répandent dans le monde, entrent dans le journalisme, s’emploient à régenter les arts, la littérature et la société. Et ceux-là, en vérité, sont le plus souvent insupportables… Après n’avoir juré que par Voltaire, les voici retournés au spiritualisme, au mysticisme, la dernière mode des salons. Le dilettantisme, le cosmopolitisme s’en sont mêlés. Depuis que la foi solide en la science est devenue chose brutale, inélégante, ils croient se débarbouiller du professorat, en affectant un doute aimable, une ignorance voulue, une innocence apprise. Leur grande crainte est de sentir l’École, et ils sont très parisiens, ils risquent la culbute et l’argot, font des grâces de jeunes ours savants, dévorés du désir de plaire. De là, les flèches sarcastiques dont ils criblent la science, eux qui ont la prétention de tout savoir et qui retournent, par distinction, à la croyance des humbles, à l’idéalisme naïf et délicieux du petit Jésus de la crèche.

François s’était mis à rire.

— Oh ! le portrait est un peu chargé, mais c’est cela, c’est bien cela.

— J’en ai connu plusieurs, continua Pierre qui s’animait, qui s’oubliait. Et, chez tous, j’ai trouvé cette terreur d’être dupes, aboutissant à la réaction contre tout l’effort, tout le travail du siècle : dégoût de la liberté, méfiance devant la science, négation de l’avenir. Monsieur Homais est pour eux l’épouvantail, le comble du ridicule, et c’est la crainte de lui ressembler qui les jette à cette élégance