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venteurs naïfs à la main heureuse, découvrant dans le mystère la formule de cette poudre. Et c’était à ceci qu’il voulait en venir, aux nombreux explosifs ignorés encore, aux prochaines trouvailles qu’il pressentait. Lui-même, au cours de ses recherches, en avait soupçonné plusieurs, sans avoir l’occasion ni le temps de pousser l’étude dans ce sens. Il indiqua même le terrain à fouiller, la marche à suivre. L’avenir, pour lui, était là sans doute. Et, dans une péroraison très large, très belle, il dit qu’on avait déshonoré jusqu’à présent les explosifs, en les employant à des œuvres imbéciles de vengeance et de désastre, tandis qu’il y avait peut-être en eux la force libératrice que la science cherchait, le levier qui soulèverait et changerait le monde, lorsqu’on les aurait domestiqués, réduits à n’être plus que les serviteurs obéissants de l’homme.

Pierre, pendant toute cette causerie, d’une heure et demie à peine, sentit François, près de lui, se passionner, frémir aux vastes horizons que le maître ouvrait. Lui-même venait d’être violemment intéressé, car il lui était impossible de ne pas saisir certaines allusions, de ne pas établir certains rapprochements entre ce qu’il entendait et ce qu’il avait deviné des angoisses de Guillaume, sur le secret que ce dernier redoutait si fort de voir à la merci d’un juge d’instruction. Aussi, lorsqu’ils allèrent, François et lui, serrer la main de Bertheroy, avant de partir ensemble, dit-il avec intention :

— Guillaume regrettera bien de n’avoir pas entendu développer de si admirables idées.

Le vieux savant se contenta de sourire.

— Bah ! résumez-lui ce que j’ai dit. Il comprendra, il en sait plus que moi là-dessus.

Dans la rue, François, qui gardait, devant l’illustre chimiste, la muette attitude d’un élève respectueux, finit par déclarer, au bout de quelques pas faits en silence :