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Marché lançait la machine populaire, la Lisette, le cyclisme pour tous, comme disaient les annonces. Mais Grandidier luttait encore, n’avait pas victoire gagnée, car l’outillage neuf venait de l’endetter terriblement. Chaque mois, c’était un effort, un perfectionnement, une simplification réalisant une économie. Il était sans cesse en éveil, et il rêvait maintenant de se remettre aux petits moteurs, flairant de nouveau le prochain triomphe des voitures automobiles.

Pierre, qui avait demandé si M. Thomas Froment était là, fut conduit par un vieil ouvrier dans un petit atelier de planches, et il y trouva le jeune homme en tenue de travail, vêtu du bourgeron du mécanicien, les mains noires de limaille. Il ajustait une pièce, personne n’aurait soupçonné, chez ce colosse de vingt-trois ans, si attentif et si vaillant à la dure besogne, le brillant élève du lycée Condorcet, où les trois frères avaient laissé le nom de Froment célèbre, dans les fastes du palmarès. Mais lui, en serviteur étroit de son père, ne voulait être que le bras qui forge, le travail manuel qui réalise. Et il était un sobre, un patient, un muet, et il n’avait pas même de maîtresse, disant que, lorsqu’il rencontrerait une bonne femme, plus tard, il l’épouserait.

Dès qu’il aperçut Pierre, il frémit d’inquiétude, lâcha tout, s’élança.

— Père ne va pas plus mal ?

— Non, non… Il a lu dans les journaux cette histoire du poinçon trouvé rue Godot-de-Mauroy, et il s’est inquiété, en songeant qu’une perquisition de police pouvait avoir lieu ici.

Rassuré, Thomas eut un sourire.

— Dites-lui qu’il dorme tranquille. D’abord, malheureusement, je ne tiens pas notre petit moteur, tel que je le veux. Puis, il n’est pas encore monté, j’ai gardé des pièces chez nous, personne ici ne sait même au juste ce