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tout sombrait, le passé de travail et d’espoir, le présent avec l’enfant et la femme.

— Tenez ! monsieur l’abbé, voici l’usine, dit madame Toussaint. Ma belle-sœur ne va plus avoir à attendre, puisque vous avez eu la bonté de venir à son aide… Merci bien pour elle et pour nous.

Madame Théodore et Céline aussi remerciaient, toutes les deux sur le trottoir avec madame Toussaint, au milieu de la bousculade des passants, dans l’éternelle boue grasse de ce quartier populeux, s’attardant à regarder Pierre entrer, et causant encore, et disant qu’il y avait tout de même des prêtres bien aimables.

L’usine Grandidier occupait là tout un vaste terrain. Sur la rue, il n’y avait qu’un bâtiment de briques, aux étroites fenêtres, flanqué d’un vaste portail, d’où l’on voyait la cour profonde. Puis, c’était une succession de corps de logis, d’ateliers, de hangars intérieurs, des toitures sans nombre, que dominaient les deux hautes cheminées des générateurs. Dès l’entrée, on entendait le ronflement et la trépidation des machines, la sourde clameur du travail, toute une activité chaude, remuante, assourdissante, dont le sol lui même était ébranlé. Des eaux noircies ruisselaient, des jets de vapeur blanche, sur un toit, sortaient par un tuyau mince, en un souffle strident et régulier, tel que la respiration même de l’énorme ruche en besogne.

Maintenant, l’usine fabriquait surtout des bicyclettes. Lorsque Grandidier, qui sortait de l’École des arts et métiers, de Châlons, l’avait prise, elle périclitait, mal gérée, s’attardant à la fabrication des petits moteurs, à l’aide d’un outillage vieilli. Devinant l’avenir, il s’était fait commanditer par son frère aîné, un des administrateurs des grands magasins du Bon Marché, en s’engageant à lui fournir des bicyclettes excellentes à cent cinquante francs. Et toute une affaire considérable était en train, le Bon