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— Ma chère, vous arrivez mal, nous sommes à sec. C’est avant-hier seulement que Toussaint a pu retourner à l’usine, et il faudra bien, dès ce soir, qu’il demande une avance.

Elle la regardait, blessée par son état d’abandon, méfiante, peu sympathique.

— Et Salvat, il ne fait donc toujours rien ?

Sans doute, madame Théodore prévoyait la question, car elle mentit tranquillement.

— Il n’est pas à Paris, un ami l’a emmené pour du travail, du côté de la Belgique, et j’attends qu’il nous envoie quelque chose.

Mais madame Toussaint gardait sa défiance.

— Ah ! tant mieux qu’il ne soit pas à Paris, parce que nous avions songé à lui, avec toutes ces affaires de bombes, nous nous disions qu’il était assez fou pour se fourrer là dedans.

L’autre ne sourcilla pas. Si elle se doutait de quelque chose, elle le gardait pour elle.

— Eh bien ! et vous, ma chère, vous ne trouvez donc pas à vous occuper ?

— Oh ! moi, comment voulez-vous que je fasse, avec mes pauvres yeux ? La couture n’est plus possible.

— Ça, c’est vrai. Une ouvrière, ça se rouille. Ainsi moi, quand Toussaint a été cloué là, j’ai voulu me remettre à la lingerie, mon ancien métier. Ah bien ! oui, je gâchais tout, je n’avançais pas… Il n’y a encore que les ménages qu’on peut toujours faire. Pourquoi ne faites-vous pas des ménages ?

— J’en cherche, je n’en trouve pas.

Peu à peu, pourtant, madame Toussaint revenait à son bon cœur, s’attendrissait, devant cet air de grande misère. Et elle la fit asseoir, elle lui dit que, si Toussaint rentrait avec une avance, elle lui donnerait quelque chose. Puis, elle entama des histoires, succombant à son péché de