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— Si vous voulez, monsieur l’abbé, je vais vous conduire chez mon oncle Toussaint. C’est à côté, on n’a qu’à tourner le coin de la rue.

— Mais puisque vous n’avez pas de souliers, mon enfant.

— Oh ! ça ne fait rien, je marche tout de même comme ça.

Il s’était levé, il dit simplement :

— Eh bien ! oui, ça vaut mieux, venez me conduire. Je vais vous en acheter, des souliers.

Céline devint très rouge. Elle se hâta de le suivre, après avoir refermé soigneusement la porte à double tour, en bonne petite ménagère, qui n’avait pourtant rien à garder.

Madame Théodore, avant de frapper à la porte de Toussaint, son frère, pour tâcher d’emprunter vingt sous, avait eu l’idée de tenter d’abord la fortune auprès de sa sœur cadette, Hortense, mariée à un employé, le petit Chrétiennot, et qui occupait un logement de quatre pièces, boulevard Rochechouart. Mais c’était une grosse affaire, et elle ne s’était décidée à cette course qu’en tremblant, poussée à bout par l’idée de Céline qui l’attendait, à jeun depuis la veille.

Toussaint, le mécanicien, le frère aîné, avait cinquante ans. Lui, était d’un premier lit. Son père, resté veuf, s’était remarié à une couturière toute jeune, qui lui avait donné trois filles, Pauline, Léonie et Hortense. Cela expliquait comment l’aînée, Pauline comptait dix ans de moins que Toussaint, et Hortense, la cadette, dix-huit. Quand leur père mourut, Toussaint eut un instant sur les bras sa belle-mère et ses trois sœurs. Le pis était que, tout jeune, il avait déjà femme et enfant. Heureusement, la belle-mère active et intelligente, savait se débrouiller. Elle retourna comme ouvrière à l’atelier de couture, où Pauline se trouvait déjà en apprentissage.