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L’homme sort, bat la ville, finit souvent par rapporter l’indispensable, la croûte qu’on se partage et qui empêche qu’on ne meure. Mais, l’homme parti, c’est l’abandon dernier, la femme et l’enfant en détresse, sans soutien ni aide.

Pierre, assis, regardant cette pauvre petite créature, aux yeux bleus limpides, à la bouche grande qui finissait quand même par sourire, ne put s’empêcher de l’interroger encore.

— Vous n’allez donc pas à l’école, mon enfant ?

Elle rougit un peu.

— Je n’ai pas de souliers pour y aller.

Et il remarqua, en effet, qu’elle avait aux pieds de vieux chaussons en loques, d’où ses petits doigts rougis sortaient.

— D’ailleurs, reprit-elle, maman Théodore dit qu’on ne va pas à l’école, quand on ne mange pas… Elle a voulu travailler, maman Théodore, et elle n’a pas pu, à cause de ses yeux qui se mettent tout de suite à brûler et à pleurer… Alors, nous ne savons pas quoi faire, nous n’avons plus rien depuis hier, et c’est bien fini, si mon oncle Toussaint ne peut pas nous prêter vingt sous.

Elle souriait toujours d’une façon inconsciente, tandis que deux grosses larmes lui noyaient les yeux. Et cela était si navrant, cette fillette enfermée dans cette chambre vide, n’ouvrant plus, comme retranchée des heureux, que le prêtre, bouleversé, sentit se réveiller en lui sa furieuse révolte contre la misère, ce besoin de justice sociale qui seul maintenant le passionnait, dans l’écroulement de toutes ses croyances.

Au bout de dix minutes, il s’impatienta, en songeant qu’il devait aller ensuite à l’usine Grandidier.

— C’est bien étonnant que maman Théodore ne soit pas là, répétait Céline. Elle cause.

Puis, elle eut une idée.