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-elle revu le père ? savait-elle où il se cachait ? était-il revenu les embrasser et les rassurer toutes deux ?

— Et votre papa, ma mignonne, il n’est donc pas là non plus ?

— Oh ! non, monsieur l’abbé, il a eu des affaires, il est parti.

— Comment, parti ?

— Oui, il n’est plus revenu coucher, nous ne savons pas où il est.

— Peut-être qu’il travaille ?

— Oh ! non, il enverrait de l’argent.

— Alors il voyage ?

— Je ne sais pas.

— Il a sans doute écrit à maman Théodore ?

— Je ne sais pas.

Pierre cessa de la questionner, un peu honteux de vouloir faire causer ainsi cette enfant de onze ans, qu’il trouvait seule. Il se pouvait qu’elle ne sût rien, que Salvat n’eût pas même donné de ses nouvelles, par prudence. Et elle avait l’air très véridique, avec sa face blonde, douce et intelligente, à l’expression déjà grave, cette gravité que l’extrême misère donne aux enfants.

— C’est bien fâcheux que madame Théodore ne soit pas là, je voulais lui parler.

— Mais, monsieur l’abbé, si vous désirez l’attendre… Elle est allée chez mon oncle Toussaint, rue Marcadet, et elle ne peut pas tarder à revenir, car il y a plus d’une heure qu’elle est partie.

Et elle débarrassa l’une des chaises, sur laquelle traînait une poignée de menu bois, ramassé dans quelque terrain vague.

La pièce, sans feu, était visiblement sans pain, dans une nudité glaciale. On y sentait l’absence de l’homme, la disparition de celui qui est la volonté et la force, sur lequel on compte, même après des semaines de chômage.