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restent sombres et fangeux, sous le piétinement continu du lamentable troupeau.

Connaissant l’escalier des Salvat, Pierre le prit, monta, au milieu des cris d’enfants, des petits qui hurlaient, puis qui se taisaient tout d’un coup, laissant tomber la maison à un silence de tombe. La pensée du vieux Laveuve, mort là comme un chien, au coin d’une borne, lui revint, le glaça. Et il eut un frisson, lorsque, tout en haut, ayant frappé à la porte, le grand silence seul répondit. Pas un souffle, pas une âme.

Alors, il frappa de nouveau, et comme rien encore ne bougeait, il pensa qu’il n’y avait personne. Peut-être Salvat était-il revenu prendre la femme et l’enfant, peut-être l’avaient-elles suivi ailleurs, au fond de quelque trou, à l’étranger. Cela l’étonnait pourtant, car les pauvres ne se déplacent guère, meurent où ils souffrent. Et il frappa doucement une troisième fois.

Dans le silence, enfin, un léger bruit, un bruit de petits pas se fit entendre. Puis, une voix frêle d’enfant se risqua, demanda :

— Qui est là ?

— Monsieur l’abbé.

Le silence recommençait, plus rien ne remuait. Un débat, une hésitation.

— Monsieur l’abbé qui est venu l’autre jour.

Cela dut faire cesser toute incertitude, la porte s’entrebâilla, et Céline, la petite fille, laissa entrer le prêtre.

— Je vous demande pardon, monsieur l’abbé, maman Théodore est sortie, et elle m’a bien recommandé de n’ouvrir à personne.

Un instant, Pierre s’était imaginé que Salvat se trouvait là sans doute. Mais, d’un coup d’œil, il eut vite fait le tour de l’unique pièce, où s’entassait la famille. Madame Théodore devait craindre une visite de la police. Avait-