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III


Trois jours se passèrent. Dans la petite maison de Neuilly, Guillaume, brûlé de fièvre, cloué sur cette couche où l’impatience le dévorait, se sentait repris d’une anxiété croissante, chaque matin, à l’arrivée des journaux. Pierre avait bien essayé de les faire disparaître. Mais il voyait alors son frère se tourmenter davantage, et c’était lui-même qui devait lui lire tout ce qui paraissait sur l’attentat, un extraordinaire flot dont les colonnes ne désemplissaient plus.

Jamais pareil débordement n’avait encore inondé la presse. Le Globe, si prudent, si grave d’ordinaire, n’était pas épargné, cédait à ce coup de folie de l’information à outrance. Mais il fallait voir les journaux sans scrupules la Voix du Peuple surtout, exploitant la fièvre publique, terrifiant, détraquant la rue, pour tirer et vendre davantage. Chaque matin, c’était une imagination nouvelle, une effroyable histoire à bouleverser le monde. On racontait que de grossières lettres de menaces étaient adressées journellement au baron Duvillard, pour lui annoncer qu’on allait tuer sa femme, sa fille, son fils, l’égorger lui-même, faire sauter son hôtel, à ce point que, jour et nuit, cet hôtel était gardé par une nuée d’agents en bourgeois. Ou bien il s’agissait d’une stupéfiante invention, un égout du côté de la Madeleine, dans lequel des anarchistes étaient descendus, minant tout le quartier, apportant des tonneaux de poudre, un volcan où devait s’engloutir une moitié de Paris. Ou bien on affirmait qu’on tenait la trame d’un immense complot, enserrant