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deux pruniers énormes, aux vieux troncs rugueux, ainsi qu’un gros bouquet de lilas, d’une vigueur extrême, qui se couvraient de fleurs au printemps. Et Marie, devant ces lilas, avait ménagé une large plate-bande, où elle s’amusait à cultiver elle-même quelques rosiers, des giroflées et des résédas.

D’un geste, elle montra les pruniers noirs, les lilas et les rosiers, à peine verdis de pointes tendres, tout ce petit coin de nature endormi encore par l’hiver.

— Dites à Guillaume de guérir vite et d’être ici pour les premiers bourgeons.

Puis, comme Pierre à ce moment la regardait, ses joues tout d’un coup s’empourprèrent. C’étaient ainsi, chez elle, de brusques et involontaires rougeurs, parfois, aux mots les plus innocents, et qui la désespéraient. Elle trouvait cela ridicule, de s’émotionner de la sorte, comme une petite fille, lorsque son cœur était si brave. Mais son pur sang de femme avait gardé cette délicatesse exquise, une pudeur si naturelle, qu’elle échappait à sa volonté. Sans doute, simplement, elle venait de rougir, parce qu’elle craignait d’avoir fait, devant ce prêtre, une allusion à son mariage, en souhaitant le printemps.

— Veuillez entrer, monsieur l’abbé. Les enfants sont justement là tous les trois.

Et elle l’introduisit dans l’atelier.

C’était une très vaste salle, haute de cinq mètres, le sol pavé de briques, les murs nus, peints en gris fer. Une nappe de clarté, un bain ruisselant de tiède soleil, inondait les moindres coins, y pénétrait par le large vitrage ouvert au midi, en face de l’immensité de Paris ; et il y avait là des claies de bois, qu’on baissait l’été, afin d’amortir l’ardeur trop vive des jours brûlants. Toute la famille vivait dans cette salle, du matin au soir, en une tendre et étroite communauté de travail. Chacun s’y était installé à sa guise, y avait sa place choisie, où il pouvait