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l’abbé Rose. Il suivit la rue de Norvins, sur la crête de Montmartre, gagna la rue des Saules, dont il descendit la pente raide, entre des murs moussus, de l’autre côté de Paris. Les trois francs qu’il tenait dans sa main, au fond de la poche de sa soutane, l’emplissaient à la fois d’une émotion attendrie et d’une sourde colère contre l’inutile charité. Mais, à mesure qu’il dévalait, par les raidillons, par les étages d’escaliers interminables, des coins de misère entrevus le reprenaient, une infinie pitié lui serrait le cœur. Il y avait là tout un quartier neuf en construction, le long des larges voies ouvertes, depuis les grands travaux du Sacré-Cœur. De hautes et bourgeoises maisons se dressaient déjà, au milieu des jardins éventrés, parmi des terrains vagues, entourés encore de palissades. Et, avec leurs façades cossues, d’une blancheur neuve, elles ne faisaient que rendre plus sombres, plus lépreuses, les vieilles bâtisses branlantes restées debout, des guinguettes louches aux murs sang de bœuf, des cités de souffrance aux bâtiments noirs et souillés, où du bétail humain s’entassait. Ce jour-là, sous le ciel bas, la boue noyait le pavé défoncé par les charrois, le dégel trempait les murs d’une humidité glaciale, tandis qu’une tristesse atroce montait de tant de saleté et de souffrance.

Pierre, qui était allé jusqu’à la rue Marcadet, revint sur ses pas. Il entra, rue des Saules, certain de ne pas se tromper, dans la cour d’une sorte de caserne ou d’hôpital, que trois bâtiments irréguliers entouraient. Cette cour était un cloaque, où les ordures avaient dû s’amasser pendant les deux mois de terrible gelée ; et tout fondait maintenant, une abominable odeur s’exhalait du lac de fange immonde. Les bâtiments croulaient à demi, des vestibules béants s’ouvraient comme des trous de cave, des taies de papier bariolaient les vitres crasseuses, des loques pendaient infâmes, telles que des drapeaux de