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heureuse elle-même de cette jeunesse et de cette gaieté dont la venue allait éclairer un peu le logis, bien sévère depuis la mort de Marguerite. Marie serait la sœur aînée, trop âgée pour que les garçons, au collège encore, pussent être troublés par sa présence. Elle travaillerait dans cette maison où tout le monde travaillait. Elle aiderait à la communauté, en attendant de rencontrer et d’aimer quelque brave garçon, qu’elle épouserait.

Cinq ans s’écoulèrent de nouveau, sans que Marie consentît à quitter la maison heureuse. La forte instruction qu’elle avait reçue, était tombée dans un cerveau solide, satisfait de tout savoir, bien qu’elle fût restée très pure, très saine, très naïve même, conservée vierge par sa naturelle droiture ; et très femme, se faisant belle avec rien, s’amusant avec rien, toujours gaie et contente ; et très pratique, pas rêveuse, s’occupant sans cesse à quelque travail, ne demandant à la vie que ce qu’elle pouvait donner, sans inquiétude aucune de l’au-delà. Elle se souvenait tendrement de sa mère, si pieuse, qui lui avait fait faire sa première communion, avec des larmes, en croyant lui ouvrir les portes du Ciel. Mais, demeurée seule, elle avait cessé d’elle-même toute pratique religieuse, révoltée dans son bon sens, n’ayant pas besoin de cette police morale pour être sage, trouvant au contraire l’absurde dangereux, destructeur de la vraie santé. Comme Mère-Grand, elle en était arrivée à un athéisme tranquille, inconscient presque, non en raisonneuse, simplement en fille bien portante et brave, qui avait longtemps été pauvre sans en souffrir, qui ne croyait qu’à la nécessité de l’effort, tenue debout par sa certitude du bonheur mis dans la joie de la vie normalement, vaillamment vécue. Et son bel équilibre lui avait toujours donné raison, l’avait toujours guidée, sauvée. Aussi écoutait-elle volontiers son seul instinct, disant, avec son beau rire, qu’il était encore son meilleur conseiller. Deux fois, elle avait