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sement d’épaules, comme pour dire qu’il voulait bien être amputé, si tout croulait autour de lui. Bertheroy, qui s’était assis, s’oubliant là un instant, les regardait tous les deux de ses regards aigus. Maintenant, il savait l’attentat, il devait avoir fait ses réflexions.

— Mon cher enfant, reprit-il avec sa brusquerie, je crois bien que ce n’est pas vous qui avez commis cette abominable bêtise, rue Godot-de-Mauroy. Mais je m’imagine que vous deviez être dans les environs… Non, non ! ne me répondez pas, ne vous défendez pas. Je ne sais et ne veux rien savoir, pas même la formule de cette diablesse de poudre dont le poignet de votre chemise portait la trace et qui a fait du si terrible ouvrage.

Et, comme les deux frères restaient surpris, glacés d’inquiétude malgré ses assurances, il ajouta, avec un geste large :

— Ah ! mes amis, si vous saviez combien je trouve un tel acte plus inutile encore que criminel ! Je n’ai que mépris pour les agitations vaines de la politique, aussi bien la révolutionnaire que la conservatrice. Est-ce que la science ne suffit pas ? À quoi bon vouloir hâter les temps, lorsqu’un pas de la science avance plus l’humanité vers la cité de justice et de vérité, que cent ans de politique et de révolte sociale ? Allez, elle seule balaye les dogmes, emporte les dieux, fait de la lumière et du bonheur… C’est moi, le membre de l’Institut, renté, décoré, qui suis le seul révolutionnaire.

Il se mit à rire, et Guillaume sentit l’ironie bon enfant de ce rire. S’il admirait en lui le grand savant, il avait jusque-là souffert de le voir si bourgeoisement installé dans la vie, laissant venir à lui les situations et les honneurs, républicain sous la république, mais tout prêt à servir la science sous n’importe quel maître. Et voilà que, de cet opportuniste, de ce savant hiérarchisé, de ce travailleur qui acceptait de toutes les mains la richesse et la gloire,