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Et Pierre, alors, le sentit un instant supérieur à toute inquiétude basse, à la peur du coupable qui tremble pour lui, exalté au contraire dans la passion d’un grand dessein, dans le souci noble de mettre à l’abri l’idée souveraine, ce secret qu’il voulait sauver. Et ce ne fut, malheureusement, que la brève vision d’un espoir indistinct de rachat et de victoire, car déjà tout sombrait, retombait au doute, au soupçon des intelligences qui s’ignorent.

Un brusque souvenir, un exécrable spectacle venait de s’évoquer et d’affoler Pierre. Il bégaya :

— As-tu vu, mon grand frère, as-tu vu, sous la porte, cette enfant blonde, étalée sur le dos, le ventre ouvert, avec son joli sourire étonné ?

À son tour, Guillaume frémissait. Et, d’une voix basse et pénible :

— Oui, oui, je l’ai vue. Ah ! le pauvre petit être ! Ah ! les atroces nécessités, les atroces erreurs de la justice !

Alors, dans l’horrible frisson de ce qui passait, dans son horreur de la violence, Pierre succomba, laissa tomber sa face parmi la couverture, au bord du lit. Et il sanglota éperdument, une crise soudaine, débordante de larmes, le jetait là, anéanti, d’une faiblesse d’enfant. C’était, en lui, comme une débâcle de tout ce qu’il souffrait depuis le matin, la douleur immense de l’injustice, de la souffrance universelle, qui crevait dans ce flot de pleurs que rien ne semblait plus devoir arrêter. Et, bouleversé de même, Guillaume, qui avait posé la main sur la tête de son petit frère, pour le calmer, du geste dont il caressait autrefois ses cheveux d’enfant, se taisait, ne trouvant pas de consolation, acceptant l’éruption du volcan toujours possible, le cataclysme qui peut toujours précipiter l’évolution lente, dans la nature. Mais quel sort, pour les misérables créatures, pour les existences que les laves emportent par milliards ! Et ses yeux se mirent aussi à ruisseler, au milieu du grand silence.