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alanguie du renoncement universel. Mais Camille, frémissante, irritée, parlait dans une fièvre mauvaise. Après un silence, elle reprit :

— Tu sais que maman est là-bas, avec lui.

Elle n’avait pas besoin de préciser davantage, son frère comprenait, car ils parlaient souvent de cette chose, en toute liberté.

— Son essayage chez Salmon, hein ? la bête d’histoire !… Elle a filé par l’autre porte, elle est avec lui.

— Qu’est-ce que ça te fiche, qu’elle soit avec le bon ami Gérard ? demanda paisiblement Hyacinthe.

Puis, en la sentant bondir sur la banquette :

— Tu l’aimes donc toujours, tu le veux ?

— Oh ! oui, je le veux, et je l’aurai !

Elle avait mis dans ce cri toute sa rage jalouse de fille laide, toute sa souffrance d’être délaissée, de savoir sa mère, si belle encore, en train de lui voler son plaisir.

— Tu l’auras, tu l’auras, reprit Hyacinthe, heureux de torturer un peu sa sœur, qu’il redoutait, tu l’auras, s’il veut bien se donner… Il ne t’aime pas.

— Il m’aime ! reprit furieusement Camille. Il est gentil avec moi, ça me suffit.

Il eut peur de son regard noir, de ses petites mains d’infirme qui se crispaient comme des griffes. Puis, après un silence :

— Et papa, qu’est-ce qu’il dit ?

— Oh ! papa, pourvu que, de quatre à six, il soit chez l’autre.

Hyacinthe se mit à rire. C’étaient ce qu’ils appelaient entre eux le petit goûter de papa. Et Camille s’en égayait gentiment, excepté les jours où maman, elle aussi, goûtait dehors.

Le landau fermé était entré dans la rue, et il s’approchait au trot sonore des deux grands carrossiers. À cette minute, une petite blonde de seize à dix-huit ans, un