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étroite, à côté du boulevard étincelant, se noyait d’une ombre bleue, que les becs de gaz piquaient de rares étoiles. Des femmes passèrent, qui obligèrent Salvat à descendre du trottoir. Mais il y remonta, il alluma un bout de cigare, quelque reste ramassé sous les tables d’un café, et il reprit sa faction, immobile en face de l’hôtel, patientant.

Agité de pensées obscures, Pierre s’effrayait, se demandait s’il ne devait pas aborder cet homme. Ce qui l’arrêtait, c’était la présence de son frère, qu’il avait vu s’embusquer sous une porte voisine, guettant, prêt à intervenir lui aussi. Et il se contentait de ne pas perdre des yeux Salvat, toujours à l’affût, le regard sur le porche, ne le détournant, que pour le porter vers le boulevard, comme s’il eût attendu quelqu’un ou quelque chose, qui devait arriver par là. En effet, le landau des Duvillard parut enfin, avec son cocher et son valet de pied en livrée gros vert et or, un landau très correctement attelé de deux grands carrossiers superbes.

Contrairement à l’habitude, la voiture qui, à cette heure, ramenait la mère ou le père, n’était occupée, ce soir-là, que par les deux enfants, Camille et Hyacinthe. Il revenaient de la matinée de la princesse de Harth, et ils causaient librement, avec la tranquille impudeur dont ils essayaient de s’étonner.

— Les femmes me dégoûtent. Et leur odeur, ah ! la peste ! Et cette abomination de l’enfant qu’on risque toujours avec elles !

— Bah ! mon cher, elles valent bien ton George Elson, cette fille manquée. D’ailleurs, tu te vantes, et tu as tort de ne pas t’arranger avec la princesse, puisqu’elle en meurt d’envie.

— Ah ! la princesse, en voilà encore une qui m’assomme !

Hyacinthe en était à la négation des sexes, à la pose