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cendie, qui devaient balayer un monde coupable et condamné. Prêtre sans croyance veillant sur la croyance des autres, faisant chastement, honnêtement son métier, dans la tristesse hautaine de n’avoir pu renoncer à son intelligence, comme il avait renoncé à sa chair d’amoureux et à son rêve de sauveur des peuples, il restait quand même debout, d’une grandeur solitaire et farouche. Et ce négateur désespéré, qui avait touché le fond du néant, gardait une attitude si haute et si grave, parfumée d’une bonté si pure, qu’il avait, dans sa paroisse de Neuilly, acquis la réputation d’un jeune saint, aimé de Dieu, dont la prière obtenait des miracles. Il était la règle, il n’avait plus que le geste du prêtre, sans l’âme immortelle, tel qu’un sépulcre vide où ne restait pas même la cendre de l’espoir ; et des femmes douloureuses, des paroissiennes en larmes l’adoraient, baisaient sa soutane, et c’était une mère torturée, ayant un enfant au berceau en danger de mort, qui l’avait supplié de venir demander la guérison à Jésus, certaine que Jésus la lui accorderait, dans ce sanctuaire de Montmartre, où flambait le prodige de son cœur incendié d’amour.

Cependant, Pierre, revêtu des vêtements sacrés, avait gagné la chapelle de Saint-Vincent-de-Paul. Il y monta le degré de l’autel, il commença la messe ; et, quand il se retourna, les mains élargies, pour bénir, il apparut avec sa face creusée, sa bouche de douceur amincie d’amertume, ses yeux de tendresse devenus noirs de souffrance. Ce n’était plus le jeune prêtre, au visage brûlé de fièvre tendre allant à Lourdes, au visage illuminé d’apôtre partant pour Rome. Sa double hérédité en éternelle lutte, son père dont il tenait la tour inexpugnable de son front, sa mère qui lui avait donné ses lèvres altérées d’amour, continuaient le combat, toute la bataille humaine du sentiment et de la raison, dans cette face aujourd’hui ravagée, où montait aux minutes d’oubli le