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son cœur à tous ses enfants, il n’y aurait plus que concorde et que joie, si le peuple, obéissant à l’esprit nouveau, se donnait au maître d’amour comme il s’était donné à ses rois, reconnaissait l’unique pouvoir de Dieu, souverain absolu des corps et des âmes.

Maintenant, Pierre écoutait avec attention, et il se demandait où il avait entendu déjà des paroles presque identiques. Et, brusquement, il se souvint, il croyait de nouveau entendre, à Rome, monsignor Nani, dans la dernière conversation qu’ils avaient eue ensemble. Il retrouvait là le rêve d’un pape démocrate, lâchant les monarchies compromises, s’efforçant de conquérir le peuple. Puisque César était abattu, le pape ne pouvait-il réaliser l’ambition séculaire, être empereur et pontife, le Dieu souverain, universel ? C’était le rêve que lui-même, dans sa naïveté humanitaire d’apôtre, avait fait autrefois, en écrivant sa Rome nouvelle, et dont la Rome réelle l’avait si rudement guéri. Au fond, simple politique d’hypocrite mensonge, et rien de plus, cette politique de prêtre qui a les siècles pour elle, tenace, s’acharnant à la conquête avec une extraordinaire souplesse, résolue à profiter de tout. Et quelle évolution, l’Église venant à la science, aux démocraties, aux républiques, convaincue qu’elle les dévorera, si on lui en laisse le temps ! Ah ! oui, l’esprit nouveau, l’antique esprit de domination qui sans cesse se renouvelle, toujours avec la même faim de vaincre et de posséder le monde !

Parmi l’auditoire, Pierre croyait reconnaître certains des députés qu’il avait vus à la Chambre. N’était-ce pas une créature de Monferrand, ce grand monsieur à la barbe blonde, qui écoutait d’un air dévot ? On disait que Monferrand, autrefois mangeur de prêtres, était à présent en coquetterie souriante avec le clergé. Toute une évolution sourde commençait dans les sacristies, des mots d’ordre venus de Rome couraient, il s’agissait de se rallier