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V


Comme il arrivait à la place de la Concorde, Pierre se rappela brusquement le rendez-vous que l’abbé Rose lui avait donné, vers quatre heures, à la Madeleine, et qu’il oubliait, au milieu de la fièvre de ses démarches. Il était en retard, il hâta le pas, heureux de ce rendez-vous qui allait l’occuper et le faire patienter.

Quand il entra dans l’église, il fut surpris d’y trouver la nuit tombée presque entièrement. Quelques cierges seuls brûlaient, de grandes ombres avaient envahi la nef ; et, au milieu de ces demi-ténèbres, une voix très haute, très claire, parlait d’un flot continu, sans qu’on distinguât d’abord rien autre chose du nombreux auditoire, que la masse pâle et confuse des têtes, immobiles d’attention. C’était monseigneur Martha, qui, en chaire, achevait sa troisième conférence sur l’Esprit nouveau. Les deux premières avaient eu un grand retentissement. Et tout Paris était là, des femmes du monde, des hommes politiques, des écrivains, séduits par l’art de l’orateur, une diction adroite et chaude, des gestes amples de grand comédien.

Pierre ne voulut pas troubler cette attention recueillie, ce silence frissonnant où sonnait seule la parole du prêtre. Et il attendit pour chercher l’abbé Rose, il se tint debout près d’un pilier. Un reste de jour, la lueur oblique et mourante d’une fenêtre éclairait justement le conférencier, grand et fort dans la blancheur de son surplis, à peine grisonnant, bien qu’il eût dépassé la cinquantaine. Il avait de beaux traits, des yeux noirs et vifs, un nez