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Depuis son retour de Rome, depuis trois ans, il vivait dans la pire angoisse où puisse tomber un homme. D’abord, pour retrouver la croyance perdue, il avait tenté une première expérience, il était allé à Lourdes chercher la foi naïve de l’enfant qui s’agenouille et qui prie, la primitive foi des peuples jeunes, courbés sous la terreur de leur ignorance ; et il s’était révolté davantage devant la glorification de l’absurde, la déchéance du sens commun, convaincu que le salut, la paix des hommes et des peuples d’aujourd’hui ne saurait être dans cet abandon puéril de la raison. Ensuite, repris du besoin d’aimer, tout en faisant la part intellectuelle de cette raison exigeante, il avait joué sa paix dernière dans une seconde expérience, il était allé à Rome voir si le catholicisme pouvait se renouveler, revenir à l’esprit du christianisme naissant, être la religion de la démocratie, la foi que le monde moderne, bouleversé, en danger de mort, attendait pour s’apaiser et vivre ; et il n’y avait trouvé que des décombres, que le tronc pourri d’un arbre incapable d’un nouveau printemps, il n’y avait entendu que le craquement suprême du vieil édifice social, près de crouler. C’était alors, rendu au doute immense, à la négation totale, qu’il était revenu à Paris, rappelé par l’abbé Rose, au nom de leurs pauvres, pour s’oublier, pour s’immoler, pour croire en eux, puisque eux seuls restaient, avec leurs effroyables souffrances ; et c’était alors qu’il s’était heurté, depuis trois ans, à cet effondrement, cette banqueroute de la bonté elle-même, la charité dérisoire, la charité inutile et bafouée.

Ces trois années, Pierre venait de les vivre dans une tourmente sans cesse accrue, où son être entier avait fini par sombrer. Sa foi était morte à jamais, son espérance même était morte d’utiliser la foi des foules pour le salut commun. Il niait tout, il n’attendait plus que la catastrophe finale, inévitable, la révolte, le massacre, l’in-