Page:Zola - Les Trois Villes - Lourdes, 1894.djvu/9

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

chaleur orageuse. Et les rayons obliques enfilaient les compartiments du wagon, qu’ils emplissaient d’une poussière d’or dansante.

Marie, retombée à son angoisse, murmura :

— Oui, vingt-deux heures. Mon Dieu ! que c’est long encore !

Et son père l’aida à se recoucher dans l’étroite caisse, la sorte de gouttière, où elle vivait depuis sept ans. On avait consenti à prendre exceptionnellement, aux bagages, les deux paires de roues qui se démontaient et s’y adaptaient, pour la promener. Serrée entre les planches de ce cercueil roulant, elle occupait trois places de la banquette ; et elle demeura un instant les paupières closes, la face amaigrie et terreuse, restée d’une délicate enfance pour ses vingt-trois ans, charmante quand même au milieu de ses merveilleux cheveux blonds, des cheveux de reine que la maladie respectait. Vêtue très simplement d’une robe de petite laine noire, elle avait, pendue au cou, la carte qui l’hospitalisait, portant son nom et son numéro d’ordre. Elle-même avait exigé cette humilité, ne voulant d’ailleurs rien coûter aux siens, peu à peu tombés à une grande gêne. Et c’était ainsi qu’elle se trouvait là, en troisième classe, dans le train blanc, le train des grands malades, le plus douloureux des quatorze trains qui se rendaient à Lourdes, ce jour-là, celui où s’entassaient, outre les cinq cents pèlerins valides, près de trois cents misérables, épuisés de faiblesse, tordus de souffrance, charriés à toute vapeur d’un bout de la France à l’autre.

Mécontent de l’avoir attristée, Pierre continuait à la regarder, de son air de grand frère attendri. Il venait d’avoir trente ans, pâle, mince, avec un large front. Après s’être occupé des moindres détails du voyage, il avait tenu à l’accompagner, il s’était fait recevoir membre auxiliaire de l’Hospitalité de Notre-Dame de Salut ; et il portait, sur