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sembla tiède, délicieuse comme du lait. Jamais elle n’avait trouvé quelque chose de si bon : ses veines s’ouvraient et l’eau y entrait. Vous comprenez, la vie lui revenait dans le corps, du moment que la sainte Vierge s’en était mêlée… Elle n’avait plus le moindre mal, elle se promena, mangea tout un pigeon le soir, dormit toute la nuit comme une bienheureuse. Gloire à la sainte Vierge ! reconnaissance éternelle à la Mère puissante et à son divin Fils !

Élise Rouquet aurait bien voulu placer, elle aussi, un miracle qu’elle savait. Seulement, elle parlait si mal, avec sa bouche déformée, qu’elle n’avait pu encore prendre son tour. Il y eut un silence, elle en profita, écartant un peu le fichu qui cachait l’horreur de sa plaie.

— Oh ! moi, ce qu’on m’a raconté, ce n’est pas à propos d’une grosse maladie, mais c’est si drôle… Il s’agit d’une femme, Célestine Dubois, qui s’était entré une aiguille dans la main, en faisant un savonnage. Pendant sept ans, elle la garda, aucun médecin n’étant parvenu à la retirer. Sa main, qui s’était contractée, ne pouvait plus s’ouvrir… Elle arrive, elle la plonge dans la piscine. Mais, tout de suite, elle la retire, en jetant des cris. On la remet de force dans l’eau, on l’y maintient, pendant qu’elle sanglote, la figure couverte de sueur. Trois fois, on la replonge, et l’on voit chaque fois marcher l’aiguille, qui sort enfin par l’extrémité du pouce… Naturellement, si elle criait, c’était que l’aiguille marchait dans sa chair, comme si quelqu’un l’avait poussée, pour l’ôter… Jamais plus Célestine n’a souffert, sa main n’a gardé qu’une petite cicatrice, à la seule fin de montrer le travail de la sainte Vierge.

Cette anecdote produisit plus d’effet encore que les miracles des grosses guérisons. Une aiguille qui marchait, comme si quelqu’un l’avait poussée ! Cela peuplait l’invisible, montrait à chaque malade son ange gardien derrière