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Vêtu, la Grivotte, le frère Isidore lui-même rouvraient les yeux, s’intéressaient ; et la face d’Élise Rouquet était devenue extraordinaire, transfigurée par la foi, presque belle : une plaie ainsi disparue, n’était-ce pas sa plaie à elle fermée, effacée, son visage ne gardant qu’une faible cicatrice, redevenant le visage de tout le monde ? Sophie, toujours debout, devait se tenir à une des tringles de fer et poser son pied sur le bord de la cloison, à gauche, à droite, sans se lasser, très heureuse et très fière des exclamations qu’on poussait, de l’admiration frémissante et du religieux respect qu’on témoignait à ce petit bout de sa personne, à ce petit pied qui était comme sacré maintenant.

— Il faut sans doute une grande foi, pensa Marie tout haut, il faut avoir l’âme toute blanche…

Et, s’adressant à M. de Guersaint :

— Père, je sens que je guérirais, si j’avais dix ans, si j’avais l’âme toute blanche d’une petite fille.

— Mais tu as dix ans, ma chérie ! N’est-ce pas, Pierre, que les fillettes de dix ans n’ont pas une âme plus blanche ?

Lui, avec son esprit chimérique, adorait les histoires de miracles. Et le prêtre, profondément ému par l’ardente pureté de la jeune fille, ne chercha pas à discuter, la laissa s’abandonner au souffle de consolante illusion qui passait.

Depuis le départ de Poitiers, le temps était plus lourd, un orage montait dans le ciel de cuivre, et il semblait que le train roulât au travers d’une fournaise. Les villages défilaient, mornes et déserts sous le brûlant soleil. À Couhé-Verac, on avait redit le chapelet, puis chanté un cantique. Mais les exercices de piété se ralentissaient un peu. Sœur Hyacinthe, qui n’avait pu déjeuner encore, s’était décidée à manger vivement un petit pain avec des fruits, tout en continuant à soigner l’homme, dont le