Page:Zola - Les Trois Villes - Lourdes, 1894.djvu/77

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ait guéri cette enfant, ça m’est égal ; mais la vérité est qu’elle est guérie. »

Cette fois, des rires éclatèrent. Elle récitait trop, ayant tant de fois répété son histoire, qu’elle la savait par cœur. Le mot du médecin était d’un effet sûr, elle en riait elle-même d’avance, certaine qu’on allait rire. Et elle restait ingénue et touchante.

Cependant, elle devait avoir oublié un détail, car sœur Hyacinthe, qui avait annoncé d’un coup d’œil à l’auditoire le mot du docteur, lui souffla doucement :

— Sophie, et votre mot à madame la comtesse, la directrice de votre salle ?

— Ah ! oui… Je n’avais pas emporté beaucoup de linge, pour mon pied ; et je lui ai dit : « La sainte Vierge a été bien bonne de me guérir le premier jour, car le lendemain ma provision allait être épuisée. »

De nouveau, ce fut une joie. On la trouvait si gentille, d’avoir été guérie ainsi ! Elle dut encore, sur une question de madame de Jonquière, raconter l’histoire des bottines, de belles bottines toutes neuves, que madame la comtesse lui avait données, et avec lesquelles, ravie, elle avait couru, sauté, dansé. Songez donc ! des bottines, elle qui, depuis trois ans, ne pouvait pas mettre une pantoufle !

Devenu grave, pâli par le sourd malaise qui l’envahissait, Pierre continuait à la regarder. Et il lui adressa d’autres questions. Elle ne mentait décidément pas, il soupçonnait seulement en elle une lente déformation de la vérité, un embellissement bien inexplicable, dans sa joie d’avoir été soulagée et d’être devenue une petite personne d’importance. Qui savait, maintenant, si la prétendue cicatrisation instantanée, complète, en quelques secondes, n’avait pas mis des jours à se produire ? Où étaient les témoins ?

— J’étais là, racontait justement madame de Jon-