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dont elle était couverte, la coiffe de valenciennes qu’elle portait, une richesse qui s’étalait jusque dans l’agonie.

— Ah ! quelle pitié ! reprit l’abbé Judaine à demi-voix, dire qu’elle est si jeune, si jolie, riche à millions ! Et si vous saviez comme on l’aimait, de quelle adoration on l’entoure encore !… C’est son mari, ce grand monsieur qui est près d’elle ; et voici sa sœur, madame Jousseur, cette dame élégante.

Pierre se souvint d’avoir lu souvent, dans les journaux, le nom de madame Jousseur, femme d’un diplomate, et très lancée parmi la haute société catholique de Paris. Une histoire de grande passion combattue et vaincue avait même circulé. Elle était d’ailleurs très jolie, mise avec un art de simplicité merveilleux, s’empressant d’un air de dévouement parfait, autour de sa triste sœur. Quant au mari, qui venait, à trente-cinq ans, d’hériter la colossale maison de son père, c’était un bel homme, le teint clair, très soigné, serré dans une redingote noire ; mais il avait les yeux pleins de larmes, car il adorait sa femme ; et il avait voulu l’emmener à Lourdes, quittant ses affaires, mettant son dernier espoir dans cet appel à la miséricorde divine.

Certes, depuis le matin, Pierre voyait bien des maux épouvantables, dans ce douloureux train blanc. Aucun ne lui avait bouleversé l’âme autant que ce misérable squelette de femme qui se liquéfiait, au milieu de ses dentelles et de ses millions.

— La malheureuse ! murmura-t-il en frissonnant.

Alors, l’abbé Judaine eut un geste de sereine espérance.

— La sainte Vierge la guérira, je l’ai tant priée !

Mais il y eut encore une volée de cloche, et cette fois c’était bien le départ. On avait deux minutes. Une dernière poussée se produisit, des gens revenaient avec de la nourriture dans des papiers, avec les bouteilles et les bidons qu’ils avaient remplis à la fontaine. Beaucoup s’ef-