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agonie. Il n’avait pas peur, il souriait d’un sourire infiniment triste.

— Oh ! c’est affreux ! murmura madame Chaise, que pâlissait la crainte de la mort, dans sa continuelle terreur d’une crise brusque qui l’emporterait.

— Dame ! reprit philosophiquement M. Vigneron, chacun son tour, nous sommes tous mortels.

Et le sourire de Gustave, alors, prit une sorte de moquerie douloureuse, comme s’il eût entendu d’autres paroles, un souhait inconscient, l’espoir que la vieille tante mourrait avant lui, et qu’il hériterait des cinq cent mille francs promis, et que lui-même ne gênerait pas longtemps sa famille.

— Mets-le par terre, dit madame Vigneron à son mari. Tu le fatigues, à le tenir par les jambes.

Elle s’empressa ensuite, ainsi que madame Chaise, pour éviter toute secousse à l’enfant. Ce pauvre mignon avait besoin d’être tant soigné ! À chaque minute, on craignait de le perdre. Le père fut d’avis qu’on ferait mieux de le remonter tout de suite dans le compartiment. Et, comme les deux femmes l’emportaient, il ajouta, très ému, en se tournant de nouveau vers Pierre :

— Ah ! monsieur l’abbé, si le bon Dieu nous le reprenait, ce serait notre vie qui s’en irait avec lui… Je ne parle pas de la fortune de sa tante qui passerait à d’autres neveux. Et ce serait, n’est-ce pas ? contre nature qu’il partît avant elle, surtout dans l’état de santé où elle est… Que voulez-vous ! nous sommes tous entre les mains de la Providence, et nous comptons sur la sainte Vierge, qui va faire sûrement pour le mieux.

Enfin, madame de Jonquière, rassurée par le docteur Ferrand, put quitter la Grivotte. Mais elle eut le soin de dire à Pierre :

— Je meurs de faim, je cours un instant au buffet…