Cela était monstrueux. Qui savait pourtant ? là était peut-être le monde rajeuni de demain.
Et, perdu, incertain, Pierre, dans son horreur de la violence, faisait cause commune avec la vieille société qui se défendait, sans pouvoir dire d’où viendrait le Messie de douceur, aux mains duquel il aurait voulu remettre la pauvre humanité malade. Une religion nouvelle, oui ! une religion nouvelle. Mais il n’est pas facile d’en inventer une, il ne savait comment conclure, entre l’antique foi qui était morte et la jeune foi de demain encore à naître. Lui, désolé, n’était sûr que de tenir son serment, prêtre sans croyance veillant sur la croyance des autres, faisant chastement, honnêtement son métier, dans la tristesse hautaine de n’avoir pu renoncer à sa raison, comme il avait renoncé à sa chair. Et il attendrait.
Mais le train roula parmi de grands parcs, la locomotive siffla longuement, toute une fanfare d’allégresse, qui tira Pierre de ses réflexions. Autour de lui, le wagon s’émotionnait, s’agitait. On venait de quitter Juvisy, c’était Paris enfin, dans une demi-heure à peine. Et chacun rangeait ses affaires, les Sabathier refaisaient leurs petits paquets, Élise Rouquet donnait un dernier coup d’œil à son miroir. Un instant, madame de Jonquière s’inquiéta de la Grivotte, décida de la faire conduire directement à un hôpital, dans l’état pitoyable où elle était ; tandis que Marie tâchait de tirer madame Vincent de la torpeur dont elle semblait ne pas vouloir sortir. Il fallut réveiller M. de Guersaint, qui avait fait un bout de sieste. Et, sœur Hyacinthe ayant tapé dans ses mains, tout la wagon entonna le Te Deum, le cantique d’actions de grâces : « Te Deum laudamus, te Dominum confitemur… » Les voix montaient au milieu d’une ferveur dernière, toutes ces âmes brûlantes remerciaient Dieu de l’admirable voyage, des faveurs merveilleuses dont il les avait comblées et dont il les comblerait encore.