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attendri : n’était-ce autre chose qu’un bercement puéril, un abâtardissement de toutes les énergies ? La volonté s’y endormait, l’être s’y dissolvait, y prenait la vie, l’action en dégoût. À quoi bon vouloir, à quoi bon agir, lorsqu’on s’en remet totalement au caprice d’une toute-puissance inconnue ? D’autre part, quelle étrange chose que ce désir fou de prodiges, ce besoin de pousser Dieu à transgresser les lois de la nature qu’il a établies lui-même, dans son infinie sagesse ! Il y avait évidemment là péril et déraison, il n’aurait fallu développer, chez l’homme et surtout chez l’enfant, que l’habitude de l’effort personnel et le courage de la vérité, au risque d’y perdre l’illusion, la divine consolatrice.

Alors, toute une grande clarté monta, éblouit Pierre. Il était la raison, il protestait contre la glorification de l’absurde et la déchéance du sens commun. Ah ! la raison, il souffrait par elle, il n’était heureux que par elle. Comme il l’avait dit au docteur Chassaigne, il ne brûlait que de l’envie de la contenter toujours davantage, quitte à y laisser le bonheur. C’était elle, il le comprenait bien maintenant, c’était elle dont la continuelle révolte, à la Grotte, à la Basilique, dans Lourdes entier, l’avait empêché de croire. Il n’avait pu la tuer, s’humilier et s’anéantir, ainsi que son vieil ami, le grand vieillard foudroyé, à la sénilité douloureuse, redevenu enfant dans le désastre de son cœur. Elle était sa maîtresse souveraine, elle le tenait debout, même au milieu des obscurités et des avortements de la science. Quand il ne s’expliquait pas une chose, elle lui soufflait : « Il y a certainement une explication naturelle qui m’échappe. » Il répétait qu’on ne saurait avoir sainement un idéal, en dehors de la marche à l’inconnu pour le connaître, de la victoire lente de la raison, au travers des misères du corps et de l’intelligence. Lui, prêtre, était capable de ravager sa vie pour tenir son serment, dans le combat de sa double hérédité, son père tout