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s’était pas trouvée au rendez-vous, parmi les prodigieuses récompenses promises ! Mais Bernadette n’avait pas un doute, elle acceptait volontiers toutes les petites commissions que ses compagnes, naïvement, lui donnaient pour le ciel : « Sœur Marie-Bernard, vous direz ceci, vous direz cela au bon Dieu… Sœur Marie-Bernard, vous embrasserez mon frère, si vous le rencontrez au paradis… Sœur Marie-Bernard, vous me garderez une petite place près de vous, pour quand je mourrai. » Et elle répondait à chacune, complaisante : « N’ayez aucune crainte, votre commission sera faite. » Ah ! toute-puissante illusion, repos délicieux, force toujours rajeunie et consolatrice !

Et ce fut l’agonie, ce fut la mort. Le vendredi 28 mars 1879, on crut qu’elle ne passerait pas la nuit. Elle avait un appétit désespéré de la tombe, pour ne plus souffrir, pour ressusciter au ciel. Aussi se refusait-elle obstinément à recevoir l’extrême-onction, disant que, deux fois déjà, l’extrême-onction l’avait guérie. Elle voulait que Dieu, enfin, la laissât mourir, car c’était trop, Dieu n’aurait pas été sage en exigeant d’elle de la douleur encore. Pourtant, elle finit par consentir à être administrée, et son agonie en fut prolongée près de trois semaines. Le prêtre qui l’assistait lui répétait souvent : « Ma fille, il faut faire le sacrifice de sa vie. » Un jour, impatientée, elle lui répondit vivement : « Mais, mon père, ce n’est pas un sacrifice. » Parole terrible aussi, celle-là, dégoût de l’être, mépris furieux de l’existence, fin immédiate de l’humanité, si elle avait le pouvoir de se supprimer d’un geste. Il est vrai que la pauvre fille n’avait rien à regretter : on lui avait fait tout mettre en dehors de la vie, sa santé, sa joie, son amour, pour qu’elle la quittât comme on quitte un linge en lambeaux, usé et sali. Et elle avait raison, elle condamnait sa vie inutile, sa vie cruelle, lorsqu’elle disait : « Ma passion ne finira qu’à ma mort et durera pour moi jusqu’à mon entrée dans l’éternité. »