Page:Zola - Les Trois Villes - Lourdes, 1894.djvu/591

Cette page n’a pas encore été corrigée

craquaient d’angoisse, elle poussait des plaintes souvent, puis elle se les reprochait aussitôt. « Oh ! que je souffre, oh ! que je souffre ! mais je suis si heureuse de souffrir ! » Il n’est pas de parole plus effroyable, d’un pessimisme plus noir. Heureuse de souffrir, ô Seigneur ! et pourquoi, et dans quel but ignoré et imbécile ? À quoi bon cette inutile cruauté, cette révoltante glorification de la souffrance, lorsqu’il ne monte de l’humanité entière qu’un désir éperdu de santé et de bonheur ?

Au milieu de son affreux supplice, sœur Marie-Bernard prononça ses vœux perpétuels, le 22 septembre 1878. Il y avait vingt ans que la sainte Vierge lui était apparue, la visitant comme l’Ange l’avait visitée elle-même, la choisissant comme elle-même avait été choisie, parmi les plus humbles et les plus candides, pour cacher en elle le secret du roi Jésus. C’était l’explication mystique de l’élection de la souffrance, la raison d’être de cette créature séparée si durement des autres, accablée de maux, devenue le pitoyable champ de toutes les afflictions humaines. Elle était le jardin fermé qui plaît tant aux regards de l’Époux, il l’avait choisie, puis ensevelie dans la mort de sa vie cachée. Aussi, lorsque la misérable chancelait sous le poids de sa croix, ses compagnes lui disaient-elles : « L’oubliez-vous donc ? la sainte Vierge vous a promis que vous seriez heureuse, non pas dans ce monde, mais dans l’autre. » Elle répondait, ranimée, en se frappant le front : « L’oublier, non, non ! c’est là ! » Elle ne retrouvait des forces que dans cette illusion d’un paradis de gloire, où elle entrerait, escortée par les séraphins, bienheureuse éternellement. Les trois secrets personnels que la sainte Vierge lui avait confiés, pour l’armer contre le mal, devaient être des promesses de beauté, de félicité, d’immortalité au ciel. Quelle monstrueuse duperie, s’il n’y avait eu que la nuit de la terre au delà du tombeau, si la sainte Vierge de son rêve ne