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dû dégénérer en phtisie. Elle toussait affreusement, des quintes qui déchiraient sa poitrine en feu, qui la laissaient à demi morte. Pour comble de misère, une carie des os du genou droit s’était déclarée, un mal rongeur dont les élancements lui arrachaient des cris. Son pauvre corps, sous les continuels pansements, n’offrait plus qu’une plaie vive, sans cesse irritée par la chaleur du lit, ce continuel séjour entre les draps dont le frottement finissait par lui user la peau. Tous la prenaient en pitié, les témoins de son martyre disaient qu’on ne pouvait souffrir ni plus ni mieux. Elle essayait de l’eau de Lourdes, qui ne lui apportait aucun soulagement. Seigneur, roi tout-puissant, pourquoi donc la guérison des autres et pas la sienne ? Pour sauver son âme ? mais alors vous ne sauvez donc pas les âmes des autres ? Quel choix inexplicable, quelle nécessité absurde des tortures de ce pauvre être, dans l’évolution éternelle des mondes ! Elle sanglotait, elle répétait, pour s’encourager : « Le ciel est au bout, mais que le bout est long à venir ! » C’était toujours l’idée que la souffrance est le creuset, qu’il faut souffrir sur la terre pour triompher ailleurs, que souffrir est indispensable, enviable et béni. N’est-ce pas un blasphème, ô Seigneur ? n’avez-vous fait ni la jeunesse ni la joie ? voulez-vous donc que vos créatures ne jouissent ni de votre soleil, ni de votre nature en fête, ni des tendresses humaines dont vous avez fleuri leur chair ? Elle craignait la révolte qui l’enrageait parfois, elle voulait aussi se raidir contre le mal dont criait son corps, et elle se crucifiait en pensée, elle étendait ses bras en croix pour s’unir à Jésus, les membres contre ses membres, la bouche contre sa bouche, ruisselante de sang comme lui, abreuvée comme lui d’amertume. Jésus était mort en trois heures, son agonie était encore plus longue, à elle qui renouvelait la rédemption par la souffrance, qui mourait aussi pour apporter la vie aux autres. Lorsque ses os