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Pierre ne quittait plus Marie, car M. de Guersaint avait disparu, attiré par la verdoyante échappée de paysage, qu’on apercevait, au bout de la gare. Et le jeune prêtre, inquiet de voir qu’elle n’avait pu achever le bouillon, s’efforçait, d’un air souriant, de tenter la gourmandise de la malade, en offrant d’aller lui acheter une pêche ; mais elle refusait, elle souffrait trop, rien ne lui faisait plaisir. Elle le regardait de ses grands yeux navrés, partagée entre son impatience de cet arrêt, qui retardait la guérison possible, et sa terreur d’être secouée de nouveau, le long de ce dur chemin interminable.

Un gros monsieur s’approcha, toucha le bras de Pierre. Il grisonnait, portait toute sa barbe, la face large et paterne.

— Pardon, monsieur l’abbé, n’est-ce pas dans ce wagon qu’il y a un malheureux malade à l’agonie ?

Et, comme le prêtre répondait affirmativement, il devint tout à fait bonhomme et familier.

— Je m’appelle monsieur Vigneron, je suis sous-chef au ministère des Finances, et j’ai demandé un congé pour accompagner, avec ma femme, notre fils Gustave à Lourdes… Le cher enfant met tout son espoir dans la sainte Vierge, que nous prions pour lui matin et soir… Nous sommes là, dans le wagon qui est avant le vôtre, où nous occupons un compartiment de deuxième classe.

Puis, il se retourna, appela son monde, d’un geste de la main.

— Approchez, approchez, c’est bien là. Le malheureux malade est en effet au plus mal.

Madame Vigneron était petite, le visage long et blême, d’une pauvreté de sang, dans sa correction de bonne bourgeoise, qui reparaissait terrible chez son fils Gustave. Celui-ci, âgé de quinze ans, en paraissait à peine dix, déjeté, d’une maigreur de squelette, la jambe droite anémiée, réduite à rien, ce qui l’obligeait à marcher avec une