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sa grande tendresse, son émerveillement continuel restait la Bible, ce Nouveau Testament prodigieux, dont le perpétuel miracle ne la lassait jamais. Elle se souvenait de la Bible de Bartrès, de ce vieux livre jauni, depuis cent ans dans la famille ; elle revoyait son père nourricier, à chaque veillée, piquer une épingle au hasard, puis commencer la lecture en haut de la page de droite ; et, en ce temps-là, elle les connaissait déjà si bien, ces contes admirables, qu’elle aurait pu continuer par cœur, après n’importe quelle phrase. Maintenant qu’elle les lisait elle-même, elle y trouvait une éternelle surprise, un ravissement toujours nouveau. Le récit de la Passion surtout la bouleversait, comme un événement extraordinaire et tragique, arrivé la veille. Elle sanglotait de pitié, tout son pauvre corps de souffrance en gardait un frisson pendant des heures. Peut-être, dans ses larmes, y avait-il l’inconsciente douleur de sa passion à elle, le désolé calvaire qu’elle montait, elle aussi, depuis sa jeunesse.

Quand elle ne souffrait pas, qu’elle pouvait s’occuper à l’infirmerie, Bernadette allait, venait, emplissait la maison de sa vive gaieté d’enfant. Jusqu’à sa mort, elle demeura l’innocente, l’enfantine, qui aimait à rire, à sauter, à jouer. Elle était très petite, la plus petite de la communauté, ce qui la faisait toujours traiter un peu en gamine par ses compagnes. Le visage s’allongeait, se creusait, perdait l’éclat de la jeunesse ; mais les yeux gardaient leur pure et divine clarté, les beaux yeux de visionnaire, où, comme dans un ciel limpide, passait le vol des rêves. En vieillissant, en souffrant, elle devenait un peu âpre et violente, son caractère se gâtait, inquiet, rude parfois ; et c’étaient de petites imperfections, dont elle avait, après les crises, de mortels remords. Elle s’humiliait, se croyait damnée, demandait pardon à tout le monde. Mais, le plus souvent, quelle bonne fille du bon Dieu ! Elle était