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elle, l’aimerait sans fin, ainsi qu’il l’aimait depuis l’enfance, en chère créature dont l’unique baiser, autrefois, avait suffi pour parfumer toute sa vie. Mais elle le fit taire, inquiète déjà, craignant de gâter cette minute si pure.

— Non, non ! mon ami, ne disons rien de plus. Ce serait mal peut-être… Je suis très lasse, je vais dormir tranquille maintenant.

Et elle resta la tête contre son épaule, elle s’endormit tout de suite, en sœur confiante. Lui, un instant, se tint éveillé, dans ce douloureux bonheur du renoncement qu’ils venaient de goûter ensemble. Cette fois, c’était bien fini, le sacrifice était consommé. Il vivrait solitaire, en dehors de la vie des autres hommes. Jamais il ne connaîtrait la femme, jamais un être vivant ne naîtrait de lui. Il n’avait plus que l’orgueil consolateur de ce suicide accepté, voulu, dans la grandeur désolée des existences hors nature.

Mais la fatigue l’accabla lui-même, ses paupières se fermèrent, il s’endormit à son tour. Puis, sa tête glissa, sa joue vint toucher la joue de son amie, qui dormait très douce, le front contre son épaule. Alors, leurs chevelures se mêlèrent. Elle avait ses cheveux d’or, ses cheveux royaux dénoués à demi ; et il en eut la face baignée, il rêva dans l’odeur de ses cheveux. Sans doute, le même songe de béatitude les visitait à la fois, car leurs figures tendres avaient pris la même expression de ravissement, ils riaient tous les deux aux anges. C’était l’abandon chaste et passionné, l’innocence de ce sommeil de hasard, qui les mettait ainsi aux bras l’un de l’autre, les membres joints, les lèvres tièdes et rapprochées, confondant les haleines, comme des enfants nus couchés dans le même berceau. Et telle fut la nuit de leurs noces, la consommation du mariage spirituel où ils devaient vivre, un anéantissement délicieux de lassitude, à peine un rêve