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livré dans son cœur et dans sa volonté. Un moment, il fut sur le point de prononcer les mots irréparables. Mais, déjà, elle reprenait de sa voix d’enfant joueuse :

— Oh ! voyez donc ce pauvre papa, est-il content de dormir si fort !

En effet, sur la banquette, en face d’eux, M. de Guersaint dormait d’un air béat, comme dans son lit, sans paraître avoir conscience des continuelles secousses. Ce roulis, ce tangage monotones semblaient du reste n’être plus que le bercement qui alourdissait le sommeil du wagon entier. C’était l’abandon complet, l’anéantissement des corps, au milieu du désordre des bagages, écroulés eux aussi, comme assoupis sous la lueur fumeuse des lampes. Et le grondement rythmé des roues ne cessait pas, dans l’inconnu des ténèbres où le train roulait toujours. Parfois seulement, devant une gare, sous un pont, le vent de la course s’engouffrait, une tempête soufflait brusquement. Puis, le grondement berceur recommençait, uniforme, à l’infini.

Marie prit doucement la main de Pierre. Ils étaient si perdus, si seuls, parmi tout ce monde anéanti, dans cette grande paix grondante du train lancé au travers de la nuit noire. Une tristesse, la tristesse qu’elle avait jusque là cachée, venait de reparaître, noyant d’ombre ses grands yeux bleus.

— Mon bon Pierre, vous viendrez souvent avec nous, n’est-ce pas ?

Il avait tressailli, en sentant sa petite main serrer la sienne. Son cœur était sur ses lèvres, il se décidait à parler. Pourtant, il se retint encore, il balbutia :

— Marie, je ne suis pas toujours libre, un prêtre ne peut aller partout.

— Un prêtre, répéta-t-elle, oui, oui, un prêtre, je comprends…

Alors, ce fut elle qui parla, qui confessa le secret mortel