Page:Zola - Les Trois Villes - Lourdes, 1894.djvu/570

Cette page n’a pas encore été corrigée

trouvait très joli… Vous m’aiderez, n’est-ce pas ? Vous me chercherez des portraits.

Puis, elle parla de cette vie nouvelle qu’elle allait mener. Elle voulait arranger sa chambre, la faire tendre d’une cretonne à petites fleurs bleues, sur ses premières économies. Blanche lui avait parlé des grands magasins, où l’on achetait tout à bon compte. Ce serait si amusant, de sortir avec Blanche, de galoper un peu, elle qui ne connaissait rien, qui n’avait jamais rien vu, clouée dans un lit depuis son enfance. Et Pierre, calmé un instant, souffrait de nouveau, en sentant chez elle cette envie brûlante de vivre, cette ardeur à tout voir, tout connaître, tout goûter. C’était enfin l’éveil de la femme qu’elle devait devenir, qu’il avait autrefois devinée, adorée dans l’enfant, une chère créature de gaieté et de passion, avec sa bouche fleurie, ses yeux d’étoiles, son teint de lait, ses cheveux d’or, toute resplendissante de la joie d’être.

— Oh ! je travaillerai, je travaillerai ! et puis, vous avez raison, Pierre, je m’amuserai aussi, parce que ce n’est point un mal, n’est-ce pas ? que d’être joyeuse.

— Non, non, sûrement, Marie.

— Le dimanche, nous irons à la campagne, oh ! très loin, dans les bois, où il y aura de beaux arbres… Nous irons également au théâtre, si papa nous y mène. On m’a dit qu’il y a beaucoup de pièces qu’on peut entendre… Mais ce n’est pas tout ça, d’ailleurs. Pourvu que je sorte, que j’aille dans les rues, que je voie des choses, je serai si heureuse, je rentrerai si gaie !… C’est si bon de vivre, n’est-ce pas, Pierre ?

— Oui, oui, Marie, c’est très bon.

Un petit froid de mort l’envahissait, il agonisait du regret de n’être plus un homme. Pourquoi donc, puisqu’elle le tentait ainsi, avec sa candeur irritante, ne lui disait-il pas la vérité qui le ravageait ? Il l’aurait prise, il l’aurait conquise. Jamais débat plus affreux ne s’était