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rendormie, noyée sous le ruissellement de ses pleurs ; et, pour ne pas détruire en elle la divine illusion, cédant à une fraternelle pitié, il avait fait cet héroïque serment de lui mentir, dont il agonisait.

Pierre, dans sa rêverie, frémit alors. Aurait-il la force de le tenir toujours, ce serment ? À la gare, lorsqu’il l’attendait, ne venait-il pas de surprendre en son cœur une impatience, un besoin jaloux de quitter ce Lourdes trop aimé, avec le vague espoir qu’elle redeviendrait à lui, au loin ? S’il n’avait pas été prêtre pourtant, il l’aurait épousée. Quel ravissement, quelle existence de félicité adorable, se donner tout à elle, la prendre toute, revivre dans le cher enfant qui naîtrait ! Il n’y avait sûrement de divin que la possession, la vie qui se complète et qui enfante. Et son rêve dévia, il se vit marié, cela l’emplit d’une joie si vive, qu’il se demanda pourquoi ce rêve était irréalisable. Elle avait l’ignorance d’une fillette de dix ans, il l’instruirait, il lui referait une âme. Cette guérison qu’elle croyait devoir à la sainte Vierge, elle comprendrait qu’elle lui venait de la Mère unique, de l’impassible et sereine nature. Mais, à mesure qu’il arrangeait ainsi les choses, une sorte de terreur sacrée grandissait en lui, remontant de son éducation religieuse. Grand Dieu ! ce bonheur humain dont il la voulait combler, savait-il s’il vaudrait jamais la sainte ignorance, l’enfantine naïveté où elle vivait ? Quels reproches plus tard, si elle n’était pas heureuse ! Puis, quel drame de conscience, jeter la soutane, épouser cette miraculée d’hier, dévaster assez sa foi pour l’amener au consentement de ce sacrilège ! Et, cependant, là était la bravoure, là était la raison, la vie, le vrai homme, la vraie femme, l’union nécessaire et grande. Pourquoi donc, mon Dieu ! n’osait-il pas ? Une horrible tristesse égarait sa songerie, il n’entendait plus que son pauvre cœur souffrir.

Le train roulait avec son énorme battement d’ailes, il