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— À propos, reprit-il, vous savez la chance qu’a eue mon remplaçant, oui ! vous vous rappelez, ce tuberculeux pour lequel j’ai donné les cinquante francs du voyage, en me faisant hospitaliser… Eh bien ! il a été radicalement guéri.

— En vérité, un tuberculeux ! s’écria M. de Guersaint.

— Parfaitement, monsieur, guéri comme avec la main !… Je l’avais vu si bas, si jaune, si efflanqué, et il est venu me rendre visite à l’Hôpital, tout ragaillardi. Ma foi, je lui ai donné cent sous.

Pierre dut réprimer un sourire, car il savait l’histoire, il la tenait du docteur Chassaigne. Le miraculé en question était un simulateur, qu’on avait fini par reconnaître au bureau médical des constatations. Ce devait être au moins la troisième année qu’il s’y présentait, une première fois pour une paralysie, la seconde pour une tumeur, toutes deux guéries de même complètement. Chaque fois, il se faisait promener, héberger, nourrir, et il ne partait que comblé d’aumônes. Ancien infirmier des hôpitaux, il se grimait, se transformait, se donnait la tête de son mal, avec un art si extraordinaire, qu’il avait fallu un hasard pour que le docteur Bonamy se rendît compte de la supercherie. D’ailleurs, tout de suite les pères avaient exigé le silence sur l’aventure. À quoi bon livrer ce scandale aux plaisanteries des journaux ? Quand ils découvraient de la sorte des escroqueries au miracle, ils se contentaient de faire disparaître les coupables. Les simulateurs étaient, du reste, assez rares, malgré les joyeuses histoires répandues sur Lourdes par les esprits voltairiens. Hélas ! en dehors de la foi, la bêtise et l’ignorance suffisaient.

M. Sabathier était très remué par cette idée que le ciel avait guéri cet homme venu à ses frais, tandis que lui rentrait impotent, réduit au même état lamentable. Il soupira, il ne put s’empêcher de conclure, avec une pointe d’envie, dans sa résignation :