Page:Zola - Les Trois Villes - Lourdes, 1894.djvu/559

Cette page n’a pas encore été corrigée

portière. Je viens de les recompter, et il y en a toujours treize, naturellement… C’est comme ce bouton de cuivre, à côté de moi. Vous ne vous imaginez pas les rêves que j’ai faits, en le regardant briller, pendant la nuit où monsieur l’abbé nous a lu l’histoire de Bernadette. Oui, je me voyais guéri, je faisais à Rome le voyage dont je parle depuis vingt ans, je marchais, je courais le monde ; enfin, des rêves fous et délicieux… Et puis, voilà que nous retournons à Paris, il y a là-haut treize frises, le bouton brille, tout ça me dit que je me trouve de nouveau sur cette banquette avec mes jambes mortes… Allons, c’est entendu, je suis et je resterai une pauvre vieille bête finie.

Deux grosses larmes parurent dans ses yeux, il devait traverser une heure d’amertume affreuse. Mais il releva sa grosse tête carrée, à la mâchoire de patiente obstination.

— C’était la septième année que j’allais à Lourdes, et la sainte Vierge ne m’a pas écouté. N’importe, ça ne m’empêchera pas d’y retourner l’année prochaine. Peut-être daignera-t-elle enfin m’entendre.

Lui, ne se révoltait pas. Et Pierre, en causant, resta stupéfait de la crédulité persistante, vivace, repoussant quand même, dans ce cerveau cultivé d’intellectuel. De quel ardent désir de guérison et de vie étaient faits ce refus de l’évidence, cette volonté d’aveuglement ? Il s’entêtait à être sauvé, en dehors de toutes les probabilités naturelles, quand l’expérience du miracle avait elle-même échoué tant de fois ; et il en était à expliquer son nouvel échec, des distractions qu’il avait eues devant la Grotte, une contrition sans doute insuffisante, toutes sortes de petits péchés qui devaient avoir mécontenté la sainte Vierge. Il se promettait déjà, l’année prochaine, de faire une neuvaine quelque part, avant de se rendre à Lourdes.