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pris ça, et elle tournait ça, elle regardait ça, et c’est bien sûr son dernier joujou… Ah ! nous étions là toutes les deux, elle vivait encore, je l’avais encore sur mes genoux, dans mes bras. C’était encore si bon, si bon !… Et je ne l’ai plus, et je ne l’aurai jamais plus, ma pauvre petite Rose, ma pauvre petite Rose !

Égarée, sanglotante, elle regardait ses genoux vides, ses bras vides, dont elle ne savait plus que faire. Elle y avait si longtemps bercé, si longtemps porté sa fille, que, maintenant, c’était comme une amputation dans son être, une fonction de moins, qui la laissait diminuée, inoccupée, affolée de les sentir inutiles. Et ses bras, ses genoux la gênaient.

Pierre et Marie, très émus, s’étaient empressés, cherchant de bonnes paroles, tâchant de consoler la misérable mère. Peu à peu, par les phrases décousues qui se mêlaient à ses larmes, ils surent le calvaire qu’elle venait de monter, depuis la mort de sa fille. La veille au matin, lorsqu’elle l’avait emportée morte dans ses bras, sous l’orage, elle devait avoir longtemps marché de la sorte, aveugle, sourde, battue par la pluie torrentielle. Elle ne se souvenait plus des places qu’elle avait traversées, des rues qu’elle avait suivies, au travers de ce Lourdes infâme, de ce Lourdes tueur d’enfants, qu’elle maudissait.

— Ah ! je ne sais plus, je ne sais plus… Oui, des gens m’ont recueillie, ont eu pitié de moi, des gens que je ne connais pas, qui habitent quelque part… Ah ! je ne sais plus, quelque part, là-haut, très loin, à l’autre bout de la ville… Mais sûrement ce sont des gens très pauvres, parce que je me revois dans une chambre pauvre, avec ma chère petite, toute froide, qu’ils avaient couchée sur leur lit…

À ce souvenir, une nouvelle crise de sanglots la secoua, l’étouffa.

— Non, non ! je ne voulais pas me séparer de son cher petit corps, en le laissant dans cette ville abominable…